« Où va la population mondiale ? Quels enjeux stratégiques ? »
Le mercredi 10 décembre 2014, Géostratégies 2000 a reçu autour d’un petit-déjeuner organisé dans les salons du Palais du Luxembourg Gilles Pison, chercheur spécialiste des changements démographiques. Ce directeur de recherche à l’INED, rédacteur en chef de Population et Société, a brossé un tableau très complet de la population mondiale et de son évolution. Après un rappel historique, il a esquissé les orientations futures. Face à un déclin de la fécondité quasi généralisé c’est le vieillissement de la planète qui constitue désormais le principal défi.
Gilles Pison a illustré les projections de populations présentées pendant le petit-déjeuner en utilisant sur le site de l’INED
http://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/population_graphiques/
(Emploi très facile ; en accès libre).
Il y a environ 2000 ans, notre planète terre comptait 250 millions d’habitants. Ce chiffre est resté stable jusqu’à la fin du 18ème siècle. A ce moment, un frémissement a eu lieu, puis une accélération, portant le nombre des habitants à 1 milliard, puis à 2 milliards en 1927, pour atteindre les 7 milliards en 2011, explique Gilles Pison, qui situe un pic en 2050, autour de 9 à10 milliards d’êtres humains. Actuellement, nous sommes en phase de croissance démographique. Chaque seconde, il y a simultanément dans le monde 4 naissances et 2 décès. Ce qui équivaut à 75 millions d’habitants supplémentaires chaque année (croissance d’1%) et à un doublement de la population tous les 60 ans.
Pendant très longtemps, un équilibre s’est maintenu entre naissances et décès. Les couples avaient en moyenne 6 bébés, mais la moitié mourait avant leurs dix ans. Localement, cette proportion pouvait être nettement supérieure, en raison de guerres ou d’épidémies. Toutefois, en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, au début du 18ème, la mortalité a commencé à baisser et tout particulièrement celle des enfants. On a alors assisté, très vite, à un excédent des naissances. Parallèlement, les comportements changent, les couples limitent volontairement le nombre de naissances, qui tombent de 6 à 3 ou 4. Mais comme la mortalité poursuit sa courbe descendante, on va rester en quasi équilibre pendant deux siècles. Cette baisse concomitante de la fécondité et de la mortalité, appelée transition démographique, va entraîner la multiplication par 4 de la population de l’Europe entre 1806 et 2006. L’Europe est pionnière en la matière. C’est en 1900 que sa part dans la population mondiale est la plus forte (26%). Désormais, ce phénomène concerne tous les continents, souligne Gilles Pison. La fécondité moyenne dans le monde est de 2,5 enfants par femme , 2,2 en Asie et en Amérique Latine, 2 en France mais toujours 5 en Afrique.
TRANSFORMATION DU PAYSAGE DÉMOGRAPHIQUE
Quant à l’espérance de vie, qui ne cesse de s’allonger, elle se situe autour de 70 ans.
A quel avenir allons-nous nous confronter ? S’interroge Gilles Pison. Selon les simulateurs de population, si les deux paramètres (natalité et mortalité en baisse) restent inchangés, on pourrait observer une croissance indéfinie de la population. Même avec une politique de l’enfant unique, la courbe augmenterait. On serait dans une situation d’inertie démographique. Ce ne serait qu’à très long terme qu’une diminution de la population commencerait à se faire sentir, car, il y a actuellement dans le monde une très forte proportion de couples en âge d’avoir des enfants. Toutefois, nuance Gilles Pison, il existe d’autres scénarios, plus réalistes. Les Nations Unies prévoient une fécondité en déclin et une espérance de vie de plus en plus longue. Ce qui se traduit ainsi : 9,5 milliards d’habitants en 2050 et 11 milliards en 2100. Ces chiffres sont calculés sur la base de 2,6 enfants par femme. Mais ici, le sexe de l’enfant est déterminant. Comme il devient de plus en plus facile de sélectionner le sexe de son bébé, le nombre de garçons risque de dépasser celui des filles. C’est déjà le cas en Chine (55%) Le taux de 2,6 deviendrait alors insuffisant pour que la population se maintienne.
Comment cette population va-t-elle se répartir ? En ce début de XXIè siècle, 750 millions de personnes vivent en Europe (de Brest à Vladivostok). En 2100, ils devraient être moins nombreux. En revanche, en Afrique, il va y avoir une explosion. Nous allons passer de 1milliard, à 2,5milliards en 2050 et plus de 4 milliards en 2100. En d’autres termes, il y a actuellement un habitant sur 7 en Afrique et en 2100 il y en aura 4 sur 11 (2,5 sur 9,5 en 2050).
Cette redistribution de la population entre continents aura des répercussions très importantes, économiques et géostratégiques, insiste Gilles Pison. En 2015, la Chine est le pays le plus peuplé au monde, avec 1,4 milliard d’habitants. Elle est suivie par l’Inde (1,3 milliard). Mais, à partir de 2030, les deux courbes vont se croiser, et ensuite s’inverser. En effet, à partir de la fin des années 60, la fécondité a baissé plus vite en Chine (1,7 enfant par femme) qu’en Inde (2,45). Même si l’Inde devrait, elle aussi, passer en dessous de la barre de 2 enfants par femme, elle dépassera la Chine sur le plan démographique.
Selon Gilles Pison, le modèle de famille à très petite taille, présent au Japon, en Corée, au Brésil, et dans beaucoup de pays d’Europe, au premier rang desquels l’Allemagne, devrait devenir la norme et se répandre partout. L’épuisement des ressources, le changement climatique et les inégalités croissantes entre le Nord et le Sud sont autant de défis à court terme qui influencent les familles. Elles misent sur la qualité et investissent sur leurs enfants. Un critère universel, somme toute.
Cet exposé très détaillé a été suivi d’un débat animé par Madame Nicole Chaix (Vice présidente de Géostratégies 2000), et très riche en échanges.
Jean-Pierre Duport (Ancien Préfet Ile de France) : L’évolution de la mortalité a-t-elle une incidence ou est-elle marginale ?
Selon les Nations Unies, en 2100, l’espérance de vie sera de 82 ans. Celle que connaît la France aujourd’hui. Avec les progrès de la médecine, on peut la voir atteindre les 90 ans. Mécaniquement, cela ferait augmenter la population mondiale de 10 à15%. Donc oui, l’hypothèse de la mortalité pèse beaucoup moins.
Elisabeth Couffignal (Consultant) : Les Japonais ont intégré un élément intéressant dans l’espérance de vie : la durée de vie en bonne santé. Avons- nous en France cet indicateur ?
Le Japon voudrait relever sa natalité. Mais comment ?
L’ancien système, qui prévoyait que l’on prenne en charge les grands parents, disparaît peu à peu. C’est la collectivité qui prend le relais. Donc, ce critère n’est plus pertinent pour expliquer le faible taux de naissances. La Chine suit le même chemin.
Thierry Le Roy (Conseiller d’État) : Que pensez-vous de l’efficacité des politiques démographiques volontaristes ?
Comment expliquer la courbe très heurtée des naissances en Chine, au cours des cinquante dernières années ?
On se trompe en partie sur les retombées de la politique chinoise de l’enfant unique. En 1979, quand elle a été mise en œuvre, les couples chinois voulaient déjà moins d’enfants, les femmes avaient déjà un peu moins de 3 enfants. C’est la conjonction entre le souhait des couples et la politique menée, qui a permis d’enregistrer de bons résultats.
En Inde aussi, les gouvernements ont voulu, dès 1947, s’attaquer à la croissance démographique. Mais comme les mentalités n’étaient pas prêtes au changement, cela n’a pas été fructueux.
La Thaïlande suit la même évolution que la Chine, et pourtant, il n’y a pas de politique régulatrice.
En Iran et dans tous les pays arabes, le taux de fécondité est resté élevé très longtemps, à cause de la rente pétrolière. Puis, quand la manne s’est réduite, la tendance s’est inversée.
Il faut être très modeste en matière de politique familiale, les critères conjoncturels et structurels jouent également un grand rôle.
Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires IBM France. Secrétaire Général Adjoint Géostratégies 2000) : Avez-vous pu établir une corrélation entre niveau d’études des femmes et taux de fécondité?
En Europe, les pays les plus féconds se trouvent au Nord et à l’Ouest. Dans le Sud, en revanche, la natalité est faible. A l’échelle de l’Europe, on ne peut pas prouver la relation entre haut niveau d’instruction et faible fécondité. C’est même plutôt l’inverse qui se produit. En fait, la fécondité est élevée dans les pays où l’Etat a permis aux couples de réaliser leurs souhaits. On y trouve la France. En revanche, l’Allemagne (1,4 enfant par femme) se rattache aux pays du Sud et de l’Est.
Général Pierre Warmé: Quel degré de confiance peut-on accorder à des projections d’évolution démographique de plus de 20 ans?
Quel crédit pour les statistiques? il est déjà remarquable de savoir que l’on est 7 milliards d’habitants sur terre et 65 millions en France. Il n’est pas toujours facile d’être très précis. Tout le monde ne porte pas une étiquette. Au dernier recensement, la Grande-Bretagne a découvert qu’elle comptait un million de Britanniques de plus que prévu. Cela n’a pas posé de problèmes, les statisticiens ont mis l’accent sur les aléas de leur mission. Dans certains pays d’Afrique, les difficultés sont plus grandes. Parfois, les recensements ne sont pas publiés, comme au Nigeria. Cela peut se révéler dangereux et même causer des guerres.
On connait un certain ordre de grandeur et c’est déjà un exploit.
Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Les pronostics pour l’Afrique sont-ils les mêmes en cas de déficit de développement économique?
En Afrique, les statistiques sont moins riches qu’ailleurs et les projections moins sûres.
Il y a quarante ans, les Nations Unies prévoyaient 10 milliards d’habitants en 2100, dont 2 milliards en Afrique. Le total mondial semble toujours correct, mais la répartition a changé. La Chine, l’Inde et l’Amérique Latine ont vu leur fécondité diminuer à un rythme plus rapide que prévu. En Afrique, c’est l ‘inverse. En Afrique intertropicale (mais aussi dans le Nord du Pakistan et dans certaines régions de l’Inde), le taux de fécondité est supérieur à 3 enfants par femme.
Pierre Lepetit (Consultant) : Quel est le cercle vertueux pour notre économie? Un fort dividende démographique ou une baisse?
Dominique Lapprand (Consultant) : Le facteur démographique comporte un élément perturbateur qui est le groupe des jeunes mâles entre 18 et 30 ans. Leur activité (guerre, révolte, violence…) a-t-elle une influence sur le comportement démographique?
Selon moi, l’élément le plus important est le vieillissement de la population. Il concerne toute la planète, seul le rythme diffère d’une région à l’autre. La France a été le premier pays à voir sa population commencer à vieillir. En 1865, 7% de la population avait plus de 65 ans. Il a fallu attendre 1979 (soit 114 ans plus tard) pour voir ce pourcentage doubler. L’évolution a été lente car la mortalité infantile a décliné très doucement. La Suède et le Royaume Uni ont suivi des chemins similaires. En revanche, la Chine, elle, n’a mis que 25 ans.
Ce vieillissement démographique va causer de nombreux problèmes dans des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Il n’existe pas de système de solidarité collective, tout est à mettre en place. Dans ces pays, les actifs constituent 70% de la population actuelle. Cette évolution de la pyramide des âges, autrement dit le dividende démographique, permet l’essor économique. Mais comment ces personnes vont-elles vivre, lorsqu’elles ne pourront plus travailler?
Nicole Chaix (Maître de conférence à l’Université Panthéon Assas. Vice-Présidente de Géostratégies 2000) : Quelles réponses face au vieillissement?
A l’échelle mondiale, on devient vieux à 30 ans. C’est l’âge médian (il y a autant de personnes plus jeunes que de personnes plus âgées). C’est un bon moyen de mesurer l’âge des populations. En Afrique, il n’y a qu’un tiers des habitants qui dépassent cet âge. En Europe, c’est le contraire, c’est considéré comme jeune. C’est pourquoi l’espérance de vie moyenne se situe, quant à elle, autour de 70 ans. Beaucoup de facteurs ont une influence sur la démographie, comme l’urbanisation, le réchauffement climatique ou encore l’alimentation. Donc, les projections sont à prendre comme des données sérieuses, mais elles sont entourées d’une part de mystère. Comment la planète réussira-t-elle à nourrir 10 milliards d’habitants?
Jean-Pierre Duport (Ancien Préfet Ile de France) : Le pourcentage des non actifs par rapport aux actifs n’est-il pas aussi un enjeu important?
Il faut faire attention aux catégories d’âge dans les évolutions à long terme. Actuellement, la phase de la jeunesse s’étale entre 25 et 35 ans. Mais ces cloisonnements sont arbitraires. Puisque l’on vit de plus en plus longtemps, l’âge où l’on deviendra non actif va évoluer, les repères de 60 ou 65 ans n’auront plus la même signification.
Propos non revus par intervenant
Marie-Clotilde Hingray