« Les accords à l’OMC et le projet d’accord Union européenne-Etats-Unis » avec Pascal Lamy, ancien Directeur général de l’OMC
Le mercredi 12 mars, dans les salons du Palais du Luxembourg, Géostratégies 2000 a organisé un petit-déjeuner autour de l’ancien Directeur Général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), Pascal Lamy. Européen convaincu , fin connaisseur des échanges internationaux et des nouveaux enjeux qui s’y rattachent, Pascal Lamy s’est félicité de la disparition progressive des droits de douane, tout en attirant notre attention sur les obstacles non tarifaires, politiquement très sensibles et qui se multiplient. Auteur de nombreux ouvrages, dont « The Geneva Consensus » et « Quand la France s’éveillera », il nous a également livré ses réflexions sur les grandes manœuvres en cours, entre les USA et l’Europe d’une part, et les USA et les grands pays du Pacifique, de l’autre.
L’ouverture des échanges au niveau mondial fait l’unanimité. Le consensus idéologique est complet, car cela dope à la fois la croissance et le développement. Il faut donc poursuivre les efforts de réduction des obstacles existants, lance d’emblée Pascal Lamy. Les barrières tarifaires, qui visent à protéger les producteurs nationaux de la concurrence étrangère, diminuent rapidement. En revanche, les barrières non tarifaires, comme les normes de qualité et de sécurité, les standards techniques, suivent une courbe ascendante. Leur but est de protéger le consommateur de tout risque. Elles reflètent les préoccupations sociales et sociétales. Le niveau de précaution est toujours corrélé au niveau de développement des pays, et comme le revenu par habitant augmente, notamment dans les pays émergents, les contrôles deviennent de plus en plus astringents.
UNE NOUVELLE CONFIGURATION
Deux facteurs expliquent la disparition progressive des barrières tarifaires, souligne Pascal Lamy. Il y a, d’une part, la régulation du commerce international, réalisée grâce aux grandes vagues de négociation de ces dernières décennies (Cancun, Doha). Le droit de douane moyen oscille entre 4 et 5%, bien loin des 40% des années 70. Toutefois, la régulation ne porte que sur les plafonds tarifaires. Celui de l’Inde est de 40 à 45, celui du Brésil, de 30 à 35 et celui de la Chine, de 10. Mais, ils reflètent assez peu la réalité, et ce qui compte, ce sont les tarifs effectivement appliqués. Par exemple, l’Inde n’impose l’acier qu’à 5%, car elle en a besoin pour son industrie automobile. L’évolution du mode d’organisation des biens et services constitue le second moteur. Désormais, on produit quelque part et on consomme ailleurs. Les progrès technologiques réduisent les coûts liés à la distance, cela saute aux yeux avec les technologies de l’information. En outre, le transport par mer devient de plus en plus efficace, grâce à la containerisation, qui représente 80% du commerce mondial en poids. Les processus de production se sont alignés sur la théorie. On assiste à une multi localisation progressive des chaînes de production pour les biens et les services. Les composants constituent plus des deux tiers du commerce mondial en volume, note Pascal Lamy, qui prend pour exemple l’Ipad. Celui-ci sort d’une usine chinoise, à Longhua, un « hub » de production qui emploie 150 000 personnes. Mais seule la coque en aluminium, qui entre pour 4 à 5% de la valeur ajoutée, y est fabriquée. Le design ainsi que certains composants (soit 20 à 25% de la valeur ajoutée totale) proviennent des États-Unis. De plus d'autres composants et les systèmes de connexion viennent encore d’ailleurs, notamment du Japon.
Les nouvelles barrières tarifaires obéissent à une philosophie différente, on ne peut pas supprimer les systèmes de protection, ce serait un non sens. Néanmoins, il faut tenter de rapprocher la manière dont les normes sont établies par pays, car cela freine l’essor du commerce mondial. Il est nécessaire d’aboutir à une convergence entre les normes et la façon dont elles sont administrées, au niveau national. Lorsque les USA font payer 50 000 dollars un certificat de conformité pour les roses du Kenya cela revient à un droit de douane déguisé, s’insurge Pascal Lamy, qui plaide pour des négociations avec les instances de régulation, comme « Codex Alimentarius », une filiale de l’OMC et de la FAO.
DES HARMONISATIONS NECESSAIRES
Parallèlement, des négociations ont démarré en juillet 2013, entre les USA et l’Europe, en vue d’un accord commercial transatlantique. L’objectif est d’ouvrir totalement les échanges, de rogner au maximum sur les 20% de droits de douane subsistant encore et sur les différences réglementaires, qui génèrent 80% des obstacles. Ces disparités sont très vastes, cela va de la taille des pare-chocs de voitures au taux d’hormones dans les viandes et à la protection des données. Ces harmonisations s’avèrent très délicates, c’est un sujet sensible politiquement et qui n’est pas anodin, loin des quotas des droits de douane. De plus, les acteurs ne sont pas les mêmes, ils sont très spécialisés et les entreprises interviennent beaucoup. Alors que le consommateur soutient la réduction des droits de douane, à l’encontre du producteur, le schéma est inverse pour la négociation de rapprochements de standards. Le producteur encourage cette tendance, car un standard unifié va lui apporter des économies d’échelle et lui permettre de réduire ses coûts. Chez les organisations de consommateurs, au contraire, cela suscite le soupçon. Ces négociations aboutiront certainement à un alignement sur le standard de protection le plus exigeant, remarque Pascal Lamy, mais, en dépit de ces futures avancées techniques, le ressenti dans l’opinion publique risque d’être assez négatif.
Les Etats-Unis sont également très impliqués dans une autre négociation régionale, la TPP (Trans Pacific Partnership), qui réunit notamment la Chine, le Japon, le Mexique et le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Pérou et le Chili. Cette conférence cible les barrières non tarifaires, et souhaite élaborer de nouvelles règles applicables aux entreprises d’Etat, à la propriété intellectuelle, aux normes sanitaires. Stratégiquement, elle est capitale pour le Président Obama, qui veut éviter une marginalisation de son pays face à une intégration régionale menée par la Chine.
Cependant, ces négociations bilatérales ne doivent pas prendre le pas sur les discussions multilatérales. L’OMC devrait avoir un vrai mandat de monitoring pour tous ces standards, c’est indispensable, conclut Pascal Lamy.
L’intervention de Pascal Lamy a été suivie par un débat, animé par Raymond Douyère, et qui a donné lieu à des échanges variés et enrichissants.
Francis Babé (Directeur des études – Association régionale des Auditeurs IHEDN) ; Paul Drezet (Conseiller référendaire H à la Cour des Comptes) ; Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur) :
Il y a certes des tarifs et des normes. Mais, qu’en est-il de la régulation des différentiels sociaux et fiscaux ? Quid du rapport de forces entre d’une part, l’OMC, et de l’autre, l’OIT et les ONG ?
Il existe un consensus international à ce sujet. Il est généralement admis que ces questions sont subsidiaires, car ce sont des affaires intérieures. Par ailleurs, il y a des nuances à apporter. Sur le plan de la concurrence, c’est le salaire minimal pondéré par la productivité horaire qui compte. Cela permet une certaine régulation, pour ce qui est des conditions sociales internationales. Mais, cela se fait selon des standards minimaux, à l’Organisation Mondiale du Travail et non à l’OMC. Il est quasiment impossible d’obtenir un accord sur un standard social réunissant 200 pays. Si cela est très lent et délicat au niveau multilatéral, il n’en va pas de même pour les relations bilatérales. Là, un rapport de force politique peut s’établir. Par exemple, l’Europe peut accepter un accès préférentiel sur son marché pour certains pays d’Afrique. En échange, ceux-ci doivent s’engager à respecter la convention sur les espèces protégées.
Jean-Louis Pierrel (Chargé des relations universitaires IBM France- Secrétaire Général Adjoint de Géostratégies 2000) : L’Union Européenne, ou plutôt l’esprit très libéral de la Commission, n’est-elle pas un peu naïve, notamment vis-à-vis des USA, qui sont très protectionnistes au quotidien ?
Le marché européen est parfaitement protégé, pour tout ce qui est standards sanitaires et de sécurité. Il n’y a pas de naïveté de la part de l’Europe, sa politique commerciale fonctionne très bien, elle a multiplié par trois le solde de ses échanges industriels, avec des conditions d’accès à son marché égales pour tous.
Michel Troïkouroff (Juriste-Agirc) : Les obstacles non tarifaires ne sont-ils pas utilisés comme représailles (USA et roquefort) plutôt que comme précaution ?
Il peut y avoir des zones grises. La norme peut être édictée à cause d’intérêts protectionnistes, mais cela se produit de moins en moins. On tend vers une égalité pour tous les pays.
Philippe Geslin (Vice Président Union Financière de France) : Quelles ont été les contreparties demandées à la Chine, lors de son entrée dans l’OMC ? Quel est le bilan de cette adhésion pour les pays développés, et notamment la France ?
La Chine a rejoint l’OMC en 2001 et a payé très cher son ticket d’entrée. Elle avait besoin d’une assurance anti protectionniste, en échange, elle a accepté les contraintes internationales. La régulation de la Chine ne se décide plus au sein du Parti, mais ailleurs, dans le cadre de l’OMC. La Chine a accepté de « franchir le Rubicon », car cela était essentiel pour son avenir. Le régime qui lui est appliqué, est à mi chemin entre celui des pays développés et celui des BRICS. Le plafond chinois est établi à 10%, deux à trois fois supérieur à ce qu’ils espéraient. Ils ont aussi dû ouvrir leurs services. L’idée répandue à Paris, comme quoi la Chine est devenue un nouveau membre de l’OMC sans contrepartie, est totalement fausse.
Si le législatif est un maillon faible pour l’OMC, il n’en va pas de même pour la mise en œuvre administrative. Si un pays n’a pas un comportement conforme aux règles en vigueur, il est traîné devant un comité qui va régler les différends. Les mailles de la discipline sont serrées dans certains secteurs, mais beaucoup plus lâches dans d’autres, comme celui de l’énergie.
Jean-Louis Vichot Vice amiral (2S) (Délégué Général de l’UDESCA) : Que penser des négociations sur le Trans Pacific Partnership et des réactions, en particulier, des pays de l’ASEAN ?
Cette négociation est née sous la présidence Bush fils. L’idée était de préparer un pivot asiatique, de renforcer la présence américaine, et en quelque sorte, d’encercler la Chine.
Cela va-t-il aboutir à la simple consolidation d’accords bilatéraux ? Cinq ans plus tard, on reste dans le flou. On ne sait pas si c’est une négociation classique, ou si on va y inclure les barrières réglementaires. Pour le moment, il s’agit essentiellement de négociations bilatérales USA/Japon. Dans le même temps, le Japon négocie aussi avec l’Union Européenne, ce qui donne lieu à des marchandages. Si les Américains ont obtenu gain de cause sur ce point, pourquoi pas nous ? Il y a une transitivité du système mais, techniquement, c’est très compliqué.
Jean-Pierre Duport (Ancien Préfet de la région Ile de France) : Quelle est la place consacrée à l’exception culturelle dans les négociations transatlantiques ?
C’est une spécificité européenne qui est reconnue. Elle n’est pas soumise aux mêmes règles d’efficience que les produits standards. Ce problème est réglé avec les USA, les industries culturelles européennes sont très bien protégées, et peuvent être subventionnées.
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : L’OMC est-elle concernée par les tensions sur le gaz entre la Russie et l’Ukraine ?
L’Ukraine fait partie des mauvais élèves au sein de l’OMC, au même titre que l’Argentine ou l’Equateur. L’OMC traite de multilatéralisme, rien n’est donc inscrit concernant le prix du gaz entre la Russie et l’Ukraine. De plus, en général, il n’y a aucun droit de douane sur l’énergie.
Les obstacles classiques sont en voie de mort historique. En revanche, la décision de restreindre des exportations (dans le domaine de l’énergie, de l’agriculture…) peut devenir un véritable frein et ceci n’est pas encore bien réglementé au sein de l’OMC.
A propos du commerce des services, quid des barrières à l’achat-vente de hauts talents nationaux ?
L’OMC n’est pas concernée par les échanges de personnes. Le seul cas où elle a un droit de regard, c’est lorsqu’une entreprise installe une filiale à l’étranger et y déploie du personnel, pour la mettre en service et former des employés locaux. Et cela, pour une durée déterminée.
François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines. Secrétaire Général, Trésorier de Géostratégies 2000) : Les pays qui ont les systèmes d’éducation préparant le mieux à l’innovation sont ceux qui ont le déficit commercial le plus important (Etats-Unis, Royaume Uni). Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
La notion de déficit est très floue. Désormais, on mesure le commerce international en valeur ajoutée et non plus en volume. Les comparaisons entre les volumes du commerce international et le PNB ne sont plus pertinentes, à cause du processus de multi localisation. En volume, le commerce international représente 60% de biens et 40% de services. En valeur ajoutée, c’est l’exact contraire. Le déficit commercial des Etats-Unis vers la Chine fond de 40%, si on le mesure en valeur ajoutée, et sur le plan économique, c’est ce qui compte.
Souvent, les pays qui exportent le plus sont ceux qui importent le plus, à l’instar de l’Allemagne. Un déficit commercial est un problème macro-économique. Ce qui est pertinent, c’est de savoir si le financement de ce déficit est soutenable ou pas.
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Votre opinion sur la compétitivité de la France ?
Le déclin est évident depuis douze ans. Cela prendra au moins cinq ans pour y remédier, mais il ne faut plus attendre, il faut s’attaquer immédiatement à ce dossier épineux. Il faut transformer le regard décalé des Français, porteurs d’une vision extrêmement pessimiste. Il faut tenter de les réconcilier avec le monde dans lequel ils vivent. Il est vital de revenir à une ambition mondiale pour la France.
Marie-Clotilde Hingray
Propos non revus par les intervenants